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La mésentente entre associés

20. 11. 17

Il en va des affaires commerciales comme du reste des relations humaines : on s’unit toujours pour le meilleur, le pire restant l’apanage des pessimistes.

Pour ne jamais vouloir les entendre, nombre d’associations reposent sur le prérequis que tout ira pour le mieux et que l’entente entre deux ou plusieurs associés qui n’ont d’autre désir que celui de voir prospérer leurs intérêts communs est le mode éternel de conduite des affaires :Pour ne jamais vouloir les entendre, nombre d’associations reposent sur le prérequis que tout ira pour le mieux et que l’entente entre deux ou plusieurs associés qui n’ont d’autre désir que celui de voir prospérer leurs intérêts communs est le mode éternel de conduite des affaires :Des statuts de société arbitrant convenablement les relations entre les associés et l’engagement de la société vis-à-vis des tiers ; vite rédigés ; d’une rédaction la plus usitée qui soit, et voilà qui ne devrait pas poser de difficultés et, en tout cas, ne pas freiner ce qui relève toujours de l’urgence : constituer au plus vite la société pour commencer son activité.A ce sujet, on oublie souvent que les actes accomplis au nom et pour le compte de la société en formation dans le strict intérêt social et le respect de la loi suffisent à délégitimiser l’urgence supposée de devoir enregistrer au plus vite des statuts de société qui peuvent utilement, a posteriori, reprendre un à un, les engagements pris dans le cadre de l’intérêt social avant sa constitution. Passons…
Je constate malheureusement que cette précipitation est souvent la cause première des difficultés dont sont saisis les praticiens lorsque vient l’heure de la mésentente, puis de la séparation.
Il existe une prévention et un remède, ce dernier n’ayant comme seule vertu que d’épargner l’objet des dissensions : la société elle-même.
I – La Prévention
A nouveau, nul besoin de précipiter les alliances : dans le cadre des constitutions de sociétés commerciales ou civiles, j’ai toujours eu beaucoup de difficultés à dissuader les futurs associés de vouloir à tout prix, s’engager sans autre forme de précautions que celle d’une signature rapide des statuts, d’une immatriculation immédiate de la société et de communiquer sur la naissance d’un être moral nouveau avant une date butoir, cette tendance à l’urgence artificielle s’aggravant vers la fin de l’année civile ou à l’approche des congés estivaux : « Faites-nous passer les statuts dans la semaine pour qu’on puisse les signer avant le week-end, Maître ! ». 
Pourtant, il est essentiel que les futurs associés appréhendent convenablement leurs engagements mais également les options qui s’offrent à eux que ce soit sur le mode de convocation des assemblées, les conditions de nomination mais également de révocation des dirigeants ou sur toute autre question. Les statuts de société ne sont pas aussi figés qu’on veut bien le croire ou le faire croire. La liberté dont disposent les associés pour les mettre en musique est bien plus large qu’il n’y parait et c’est précisément à ce moment clé que peuvent être appréhendées les difficultés éventuelles à venir.Ce sont, par exemple, sans être exhaustif, les clauses d’arbitrage en cas de mésentente entre une partie des actionnaires et les autres ou bien le dirigeant ; des clauses portant sur des votes différenciés (lorsque la Loi l’autorise) ou bien encore des clauses listant précisément les pouvoirs du Président.Parions que reviendra un jour la « mode » des conseils d’administration, tant il est certain que les fonctionnalités de la bonne vieille Société Anonyme ont ce pouvoir d’arbitrage qu’a perdu de vue la SAS et qui n’a jamais existé dans la SARL…. 
Meilleure voie est celle du Pacte d’Associés.Inopposable aux tiers pour ne pas en être partie ;Opposable aux associés entre eux et à ceux qui le deviendraient ;Modus operandi de la gestion de crise institutionnelle.
Le Pacte peut prévoir tout ce que l’imagination humaine et le droit autorisent.On y insèrera :Des groupes d’actionnariat différenciés ;Des clauses de votes différentes en cas de blocage lors des votes à la majorité ;Des clauses de cession forcée en cas de faute grave d’un dirigeant ;Des clauses de sortie conjointe, de rejet ou d’acceptation de nouveaux entrants ; des clauses anti-dilution ; de limitation de versement des dividendes, etc…Même des clauses de non-concurrence en cas de départ contraint ou volontaire d’un actionnaire ou d’un dirigeant, ou bien fixant une indemnisation prédéfinie en fonction des circonstances du départ (ce à quoi, bien entendu, ne peuvent pourvoir les statuts).
L’intérêt du Pacte réside ainsi tout à la fois dans une forme de prévention que dans les précisions qu’il donne aux engagements souscrits.Cette prévention a elle-même une vertu subséquente : alerter avant la naissance d’un conflit les associés sur les conséquences immédiates de la manifestation de leurs désaccords.
A ce sujet, le Pacte pourrait même prévoir la désignation d’un tiers chargé d’assumer la direction de la société durant un épisode de mésentente, c’est également l’objet de la seconde partie de ce propos.
II – Le remède
Alors voilà nous y sommes.Dans l’approximation de statuts trop rapidement rédigés nous l’avons vu, de l’absence de pacte d’actionnaires, voici nos ex-partenaires en proie à des dissensions telles que l’intérêt social n’a plus cours, qu’aucune issue à ces querelles ne semblent pouvoir se dessiner.Imaginons une association à 50/50 ou bien celle de l’exercice par une minorité de blocage suffisamment contraignante pour ne pouvoir permettre à la société de perdurer en l’état.
Une fois épuisées les recours internes (quasi-inexistants), l’impossibilité de prendre des décisions nécessaires à la gestion courante ou bien à l’avenir de la société, reste la voie judiciaire.
La Loi et la jurisprudence, ont ainsi prévu la possibilité de s’en remettre à justice aux fins, selon les cas, de désignation d’un mandataire ad hoc, ou d’un administrateur provisoire.Dans ces deux hypothèses, différentes dans leur degré, on va le voir, le juge judiciaire est toujours peu enclin à faire droit à une telle demande, qu’elle émane d’un associé égalitaire, minoritaire, ou bien du dirigeant lui-même, même si ce cas de figure est évidemment moins répandu.
a/ Le mandat ad hoc suppose, selon les termes de la section du code de commerce où elle se trouve, que l’entreprise « connaisse des difficultés de nature à compromettre la continuité de l’exploitation ». Le spectre large de cette définition permet tout à la fois de situer la demande de nomination d’un mandataire ad hoc dans le régime de la prévention que dans celui de la conciliation.Ainsi, ce ne seront pas seulement les difficultés économiques qui génèreront le soutien du Tribunal de Commerce (ou Tribunal Judiciaire s’agissant des Sociétés Civiles) mais également les difficultés de toutes natures comme celles liées à une mésentente entre associés.D’usage, on constate que si, dans un premier temps, les magistrats consulaires qui émettent quelques réticences à cette utilisation d’une mesure habituellement réservés aux procédures collectives, lorsqu’ils y consentent, prennent à cœur la recherche d’un accord permettant de résoudre les dissensions entre les associés ou bien entre un groupe d’associés et le dirigeant.On relève également, à l’usage toujours, que le « passage » dans le bureau du président du Tribunal de Commerce a souvent des vertus curatives appréciables : le Tribunal de Commerce dispose, vis-à-vis des dirigeants d’entreprise, d’une autorité naturelle dans l’admonestation que n’ont plus les conseils juridiques, ce qui n’est d’ailleurs jamais souhaitable en ce qui concerne ces derniers !
b/ La demande d’administration provisoire est l’arme réelle des conflits entre associés.En substance, il s’agit de solliciter en justice, le dessaisissement des organes légaux de gestion au profit d’un tiers en lui donnant une mission d’administration durant le temps limité à la recherche d’une solution et la mise en place de celle-ci pour autant qu’elle s’avère envisageable.
Paradoxalement, pour autant que les conditions en soient réunies, elle est plus facile à obtenir qu’une simple demande de conciliation.Mais c’est aussi une arme aux conséquences imprévisibles et qui peut se retourner contre son promoteur !D’abord, et cela se conçoit ; c’est une arme à un seul coup ! Si vous ne parvenez pas à convaincre le juge que le fonctionnement normal de la société est impossible et qu’elle est menacée d’un péril imminent, il sera inutile de vous y essayer de nouveau avant de longs mois. Vous aurez perdu la partie, et vos anciens amis, nouveaux adversaires reprendront la main sur la source de vos différents.Si c’est en qualité de dirigeant que vous aviez envisagé cette procédure et que son bénéfice vous en est refusé, votre destitution sera, à n’en pas douter, au menu du prochain Ordre du Jour ou l’objectif d’une action en justice récursoire !
Eviter les conflits ne participe pas de l’espoir d’une entente éternelle, mais cette entente peut être préservée au maximum pour autant que les règles que l’on se fixe soient aussi précises que possible. C’est le rôle du conseil d’entreprise.
Le pessimisme du rédacteur d’actes doit être aux antipodes de l’optimisme qui sied à la naissance d’une future entreprise.
Aux futurs associés, la joie et l’enthousiasme d’entreprendre ensemble ! A l’avocat, la basse besogne des scribes à l’esprit chagrin….

Emmanuel Mouchtouris - Avocat AssociéCabinet SAINT CYR AVOCATS, société d’avocats